Félix parti, une silhouette blanche, presque transparente apparu dans la foule. C’était une jeune fille aux yeux rouges immenses et mélancoliques et c’était Ephémère. Elle glissa son bras autour de la taille de Hannah et la releva doucement.
Le fantôme passa ensuite son bras autour du cou de Hannah et elles marchèrent un bon moment dans la cohue des ruelles de Londres, l’esprit soutenant l’humaine.
Alors Ephémère murmura de sa jolie voix de vent :
« Ce n’est pas la peine de me dire quoi que ce soit. Je sais tout. »
Elle sourit un peu.
« Il faut l’excuser. Quand il était jeune, ce n’était pas facile. Quand je m’appelais Molly, il y a longtemps, ce temps que j’ai enterré au plus profond de moi-même, il m’a raconté beaucoup de choses…De choses, oui. »
Ephémère se mit à entortiller une de ses mèches de lune autour de ses doigts, d’un air rêveur.
« Oh oui, il y a des choses…Des choses terrifiantes dans la jeunesse de Félix Slocker. Je me souviens de la première fois où je l’ai vu, sa haute silhouette élancée, ses cheveux noirs et ses yeux brûlés par la rage. Il avait une sorte de blazer. Oui, c’était un blazer d’Eton, ce collège…Ce collège…Là-bas, il a battu un garçon à mort. Et il s’est enfuit. Il terrorisait les élèves et les professeurs, avec son regard de démon. Avant de s’enfuir, il a foutu le feu aux archives pour détruire son existence. Sa mère n’avait jamais voulu de lui, elle le battait tout le temps. Sur les bras de Félix est imprimé son souvenir. Elle était tellement belle, cette femme, tellement belle.... Mais elle ne l’a jamais aimé. Et son père l’a abandonné. Il est parti avec une autre femme. Alors la mère de Félix a attrapé un couteau. Elle l’a retrouvé, elle l’a tué et elle s’est tuée. C’est une belle histoire d’amour qui finit mal. Et quand je l’ai vu, Félix, je suis venue vers lui. Il me faisait trop pitié. Il avait l’air tellement…Tellement seul. »
Hannah séchait ses larmes et buvait les paroles d’Ephémère. Elle murmura doucement :
« Quel est donc ce temps oublié ? Ce temps où…Ce temps où tu étais Molly et où Filou était Félix ? »
Ephémère ferma les yeux et les ré-ouvrit lentement. Elle passa un doigt fin sur ses lèvres de marbre.
« Je ne peux rien en dire… »
Hannah resta longtemps sans rien dire, trop impressionnée par les derniers mots d’Ephémère. Mais celle-ci se remit à parler sans qu’Hannah lui demande.
« Si tu savais, y’a deux ans, la bande à Félix c’était la plus puissante du quartier…Elle avait tout Whitechapel sous son contrôle, un morceau de Soho, et une bonne part de Spitafield. Mais il faut croire que Félix se lasse de ça. Et Joss, ça lui manque à fond, les fois où ils courraient sur les toits et allaient suriner les bourgeois, ou extorquer des fonds aux jeunes filles de bonne famille. Je t’assure, il n’y avait pas de porte capable de leur résister. Everard cassait tout ce que Félix ne savait pas crocheter. Maintenant, ils arrêtent. Mais honnêtement, ça m’étonnerait que Félix se range un jour. Il aime trop sa liberté. Peut-être qu’il s’y remettra un jour. Il ne sait rien faire d’autre, de toute façon, et il n’accepterait jamais de crever comme un chien, comme ces pauvres gens qui se tassent dans les ombres des murs et des portes, il a trop de fierté, il pourrait pas.. »
Hannah se tut. Est-ce qu’elle était prête, à voler, à frapper, à tuer ? C’était fini, Pettonville. Maintenant, elle était à Whitechapel, et tout était différent, et plus rien ne serait sûrement jamais pareil. Etait-elle prête à accepter cette vie ?
Partout où portait son regard se dessinaient de tristes petits tas de chiffons noirâtres. Il y avait bien plus mal loti qu’elle. Hannah baissa les yeux. Tout ces petits tas qui remuaient faiblement lui donnaient envie de gerber. Elle avait honte d’être si malheureuse, alors qu’elle avait un toit et à manger. Elle ne devait pas s’inventer de problèmes inutiles.
Ephémère entraîna Hannah vers un square tristounet composé d’un arbre, d’un banc et d’un réverbère sentant la pisse de chien. Le banc était baigné d’un halo de lumière jaune luisante de pluie. La fille et le fantôme s’assirent. Les pavés brillaient à la lumière du réverbère. Les lumières de la ville formaient des étoiles de plus où se brûlaient les fêtards.
Là, elles restèrent longtemps assises sans parler, jusqu’à ce que Hannah s’endorme à la lueur de la lune et du réverbère sur les genoux blancs d’Ephémère.
Celle-ci leva le nez, détailla les étoiles et sembla y lire un message caché. Les feux se reflétaient dans ses grands yeux rouges. Alors, elle souleva adroitement Hannah et se mit à courir sans se douter que chez nos amis les Galopins, un cataclysme se déroulait.
« Elle est partie ? fit Charlie, qui semblait un peu remué.
-Hé oui soupira Félix.
-Et elle a laissé Caractacus remarqua Joss.
-Et le môme sur les bras geignit Everard.
-Mais, Everard, tu n’as pas prononcé la phrase que j’attendais…Elle n’est pas revenue rechercher ses protégés ni de quoi survivre, on peut donc espérer la revoir ! déclara Joss joyeusement. On peut espérer ré-avoir de la tarte ! »
Les Galopins n’étaient pas vraiment convaincus. Ils se mirent à jouer aux cartes mais le cœur n’y était pas. Toutes les cinq minutes, Joss entendait un vague bruit et hurlait :
« Nom et mot de passe ! »
Ensuite, il s’apercevait qu’il n’y avait personne et retournait s’asseoir sur son banc d’un air déçu. Sauf qu’aux alentours de minuit, un véritable frappement se fit entendre.
« Nom et mot de passe ! » cria Félix.
Comme personne ne répondait, Félix se leva et alla ouvrir lentement la porte, circonspect.
Ce qu’il vit derrière la porte lui fit pousser un cri de stupeur. En effet, Hannah l’attendait allongée sur le seuil pâle comme une morte.
« Merde ! s’écria Félix qui croyait qu’elle était morte. Venez, vous autres ! »
Félix hissa Hannah et la posa sur le canapé de cuir.
Là-bas, loin dans les ténèbres de l’Entrepôt, un fantôme égaré s’enfuyait. Il était si léger que ses pieds ne touchaient presque pas le sol.
Chez les Galopins, Everard se moquait de l’inquiétude de Félix.
« Si la Grande Sophie voyait ça, elle se jetterait par la fenêtre ! rigola-t-il, narquois.
-Tais-toi, sombre crétin. Qu’est-ce que vous fabriquez, les autres ! cria-t-il. Venez ! »
Charlie se leva. Il fit une moue en voyant Hannah.
« Je vais prendre son pouls. Calme-toi un peu, Félix. Cela m’étonnerait beaucoup qu’elle soit morte. »
Après quelque instants d’une tension insoutenable (Lockie dormait parce qu’avec lui, les tensions n’existent pas, il est toujours là pour rigoler au moment où il faut pas), Charlie lâcha le poignet de Hannah et se releva.
« C’est bon, elle est vivante » fit-il sans émotion.
Un cri de joie unanime parcouru l’assistance.
« En fait, continua Charlie, elle est tout simplement endormie. »
Le fantôme passa ensuite son bras autour du cou de Hannah et elles marchèrent un bon moment dans la cohue des ruelles de Londres, l’esprit soutenant l’humaine.
Alors Ephémère murmura de sa jolie voix de vent :
« Ce n’est pas la peine de me dire quoi que ce soit. Je sais tout. »
Elle sourit un peu.
« Il faut l’excuser. Quand il était jeune, ce n’était pas facile. Quand je m’appelais Molly, il y a longtemps, ce temps que j’ai enterré au plus profond de moi-même, il m’a raconté beaucoup de choses…De choses, oui. »
Ephémère se mit à entortiller une de ses mèches de lune autour de ses doigts, d’un air rêveur.
« Oh oui, il y a des choses…Des choses terrifiantes dans la jeunesse de Félix Slocker. Je me souviens de la première fois où je l’ai vu, sa haute silhouette élancée, ses cheveux noirs et ses yeux brûlés par la rage. Il avait une sorte de blazer. Oui, c’était un blazer d’Eton, ce collège…Ce collège…Là-bas, il a battu un garçon à mort. Et il s’est enfuit. Il terrorisait les élèves et les professeurs, avec son regard de démon. Avant de s’enfuir, il a foutu le feu aux archives pour détruire son existence. Sa mère n’avait jamais voulu de lui, elle le battait tout le temps. Sur les bras de Félix est imprimé son souvenir. Elle était tellement belle, cette femme, tellement belle.... Mais elle ne l’a jamais aimé. Et son père l’a abandonné. Il est parti avec une autre femme. Alors la mère de Félix a attrapé un couteau. Elle l’a retrouvé, elle l’a tué et elle s’est tuée. C’est une belle histoire d’amour qui finit mal. Et quand je l’ai vu, Félix, je suis venue vers lui. Il me faisait trop pitié. Il avait l’air tellement…Tellement seul. »
Hannah séchait ses larmes et buvait les paroles d’Ephémère. Elle murmura doucement :
« Quel est donc ce temps oublié ? Ce temps où…Ce temps où tu étais Molly et où Filou était Félix ? »
Ephémère ferma les yeux et les ré-ouvrit lentement. Elle passa un doigt fin sur ses lèvres de marbre.
« Je ne peux rien en dire… »
Hannah resta longtemps sans rien dire, trop impressionnée par les derniers mots d’Ephémère. Mais celle-ci se remit à parler sans qu’Hannah lui demande.
« Si tu savais, y’a deux ans, la bande à Félix c’était la plus puissante du quartier…Elle avait tout Whitechapel sous son contrôle, un morceau de Soho, et une bonne part de Spitafield. Mais il faut croire que Félix se lasse de ça. Et Joss, ça lui manque à fond, les fois où ils courraient sur les toits et allaient suriner les bourgeois, ou extorquer des fonds aux jeunes filles de bonne famille. Je t’assure, il n’y avait pas de porte capable de leur résister. Everard cassait tout ce que Félix ne savait pas crocheter. Maintenant, ils arrêtent. Mais honnêtement, ça m’étonnerait que Félix se range un jour. Il aime trop sa liberté. Peut-être qu’il s’y remettra un jour. Il ne sait rien faire d’autre, de toute façon, et il n’accepterait jamais de crever comme un chien, comme ces pauvres gens qui se tassent dans les ombres des murs et des portes, il a trop de fierté, il pourrait pas.. »
Hannah se tut. Est-ce qu’elle était prête, à voler, à frapper, à tuer ? C’était fini, Pettonville. Maintenant, elle était à Whitechapel, et tout était différent, et plus rien ne serait sûrement jamais pareil. Etait-elle prête à accepter cette vie ?
Partout où portait son regard se dessinaient de tristes petits tas de chiffons noirâtres. Il y avait bien plus mal loti qu’elle. Hannah baissa les yeux. Tout ces petits tas qui remuaient faiblement lui donnaient envie de gerber. Elle avait honte d’être si malheureuse, alors qu’elle avait un toit et à manger. Elle ne devait pas s’inventer de problèmes inutiles.
Ephémère entraîna Hannah vers un square tristounet composé d’un arbre, d’un banc et d’un réverbère sentant la pisse de chien. Le banc était baigné d’un halo de lumière jaune luisante de pluie. La fille et le fantôme s’assirent. Les pavés brillaient à la lumière du réverbère. Les lumières de la ville formaient des étoiles de plus où se brûlaient les fêtards.
Là, elles restèrent longtemps assises sans parler, jusqu’à ce que Hannah s’endorme à la lueur de la lune et du réverbère sur les genoux blancs d’Ephémère.
Celle-ci leva le nez, détailla les étoiles et sembla y lire un message caché. Les feux se reflétaient dans ses grands yeux rouges. Alors, elle souleva adroitement Hannah et se mit à courir sans se douter que chez nos amis les Galopins, un cataclysme se déroulait.
« Elle est partie ? fit Charlie, qui semblait un peu remué.
-Hé oui soupira Félix.
-Et elle a laissé Caractacus remarqua Joss.
-Et le môme sur les bras geignit Everard.
-Mais, Everard, tu n’as pas prononcé la phrase que j’attendais…Elle n’est pas revenue rechercher ses protégés ni de quoi survivre, on peut donc espérer la revoir ! déclara Joss joyeusement. On peut espérer ré-avoir de la tarte ! »
Les Galopins n’étaient pas vraiment convaincus. Ils se mirent à jouer aux cartes mais le cœur n’y était pas. Toutes les cinq minutes, Joss entendait un vague bruit et hurlait :
« Nom et mot de passe ! »
Ensuite, il s’apercevait qu’il n’y avait personne et retournait s’asseoir sur son banc d’un air déçu. Sauf qu’aux alentours de minuit, un véritable frappement se fit entendre.
« Nom et mot de passe ! » cria Félix.
Comme personne ne répondait, Félix se leva et alla ouvrir lentement la porte, circonspect.
Ce qu’il vit derrière la porte lui fit pousser un cri de stupeur. En effet, Hannah l’attendait allongée sur le seuil pâle comme une morte.
« Merde ! s’écria Félix qui croyait qu’elle était morte. Venez, vous autres ! »
Félix hissa Hannah et la posa sur le canapé de cuir.
Là-bas, loin dans les ténèbres de l’Entrepôt, un fantôme égaré s’enfuyait. Il était si léger que ses pieds ne touchaient presque pas le sol.
Chez les Galopins, Everard se moquait de l’inquiétude de Félix.
« Si la Grande Sophie voyait ça, elle se jetterait par la fenêtre ! rigola-t-il, narquois.
-Tais-toi, sombre crétin. Qu’est-ce que vous fabriquez, les autres ! cria-t-il. Venez ! »
Charlie se leva. Il fit une moue en voyant Hannah.
« Je vais prendre son pouls. Calme-toi un peu, Félix. Cela m’étonnerait beaucoup qu’elle soit morte. »
Après quelque instants d’une tension insoutenable (Lockie dormait parce qu’avec lui, les tensions n’existent pas, il est toujours là pour rigoler au moment où il faut pas), Charlie lâcha le poignet de Hannah et se releva.
« C’est bon, elle est vivante » fit-il sans émotion.
Un cri de joie unanime parcouru l’assistance.
« En fait, continua Charlie, elle est tout simplement endormie. »
photo by zardo.
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