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« Raah, lâche-moi ! cria Félix qui s’énervait. Et me touche pas où il faut pas ! »
Becky le posa sur la berge.
« T’es mignon comme tout en rescapé des eaux, tu sais ? »
Félix fit la moue. Qu’est-ce qu’il détestait Becky…C’était vraiment une fille écœurante.
« Alors, tas de boue reprit la voix glacée, que fait El Patron dans la Tamise à une heure si tardive ? T’apprends la brasse avec les cadavres, morveux, ou tu dragues les mouettes de la Tamise ? »
Cette voix terrifiante appartenait à une minuscule petite vieille recroquevillée dans un fauteuil roulant de bois. Elle prenait à peine le quart du siège, était maigre et sèche comme un morceau de bois et avait un regard extraordinairement méprisant. On aurait dit la grand-mère de Miss Ruggstones.
« Aller, suis-moi le roi des merdeux, on discutera mieux là-dedans. »
La petite vieille désigna du menton une porte ouverte d’où jaillissait une lumière jaune et guère avenante.
« Voilà ma chère vieille péniche. »
Une silhouette luisante de pluie d’un homme de haute stature dressé à la proue du bateau s’inclina au passage de la Mère Pelée.
« Vous pouvez disposez, Alcibiade. Vous étiez juste là pour l’effet romanesque, ne l’oubliez pas. La péniche qui avance toute seule, ça fait vachement classe. »
La silhouette sauta à bas de la péniche et s’évanouit dans la nuit. Becky poussa le fauteuil de Pelée dans l’embarcation. La lune faisait luire les ondes noires et croupissantes de la Tamise. C’était un fleuve sournois qui tuait progressivement tous ceux qui habitaient à proximité, Félix en savait quelque chose.
« Ah, Alcibiade, que ferais-je sans lui… »dit la vieille peau qui avait presque l’air reconnaissant.
Félix pénétra avec précaution dans la pièce. La péniche vacillait doucement.
Pour le côté romanesque toujours, les murs de la pièce étaient entièrement recouverts de miroirs de toutes tailles et de toutes formes. Ainsi, la pièce était démultipliée à l’infini et c’était très dérangeant.
Un grand fauteuil de style Napoléon III était calé dans un angle de la pièce. Tout autour s’étendait un champ de bocaux de toutes tailles et de toutes formes remplies de formes étranges et de cadavres d’animaux morts.
Félix voulait partir le plus vite possible de ce temple du mauvais goût. Pour passer le temps, il détailla du regard les pots remplis de choses informes et d’herbes racornies.
« Qu’est-ce que tu veux, mon chou ? demanda Becky en souriant. Cette merveilleuse souris morte ? Essence de bergamote ? Achillée millefeuille ? Opium ? »
Félix ne répondit qu’en pensée :
« C’est ça, essaie de me refiler toute ta camelote…Je me laisserai pas prendre. »
La meilleure chose à faire contre les gens du genre de Becky, c’est ne pas leur prêter attention.
Malgré l’odeur de cadavres que dégageait son chapeau, Félix l’enfonça à nouveau sur sa tête. Au moins, il ne voyait plus cette saleté de Becky.
« Alors enchaîna Becky, qu’est-ce qui t’amènes ?
-C’est vrai, ça, qu’est-ce qui t’amènes ? répéta la Mère Pelée en faisant osciller son long cou de manière quasi hypnotique.
-Mes jambes dit Félix qui choisissait ses mots.
-Pas d’esprit avec moi ! » beugla la Mère Pelée.
Félix serra les dents.
« Ce n’est qu’un mauvais moment à passer. »
Il se reprit tant bien que mal et finit par bafouiller :
« Euh…En fait… »
Félix ôta son chapeau et bégaya d’un air misérable :
« Vous n’aurez pas quelque chose pour faire revenir Everard à la maison ? »
La Pelée eut l’air un peu prise en dépourvu. Elle se gratta la tête d’un doigt parcheminé et fit la moue.
« Mmmmh. Tu veux pas de sortilège ? Pas une solution magique-pas-chère-infaillible made by Becky and Mother Peleed ?
-Non, c’est du fric fichu en l’air. Tout le monde sait bien que ça ne marche pas.
-Ben voyons brailla la Mère Pelée. Depuis quand y marchent pas, mes sorcelleries ? »
Pelée cracha sur le sol de sa péniche. Becky s’empressa de tirer le tapis oriental de mauvais goût sur le gros mollard luisant.
« T’façon, moi, mes trucs, c’est les méthodes occultes. Les solutions normales pour les merdeux dans ton genre, j’fais pas. Si t’as pas compris, c’est plus élevé, ce que je fais. Débrouilles-toi. Si un jour, t’as besoin d’une aide plus…Spéciale, tu m’appelles.
-Il me semblait que vous saviez tout. Finalement, peut-être n’êtes-vous qu’une vieille chiante comme les autres »dit Félix en partant.
La Pelée lui hurla de revenir tout de suite pour qu’elle puisse le massacrer plus à son aise. Félix n’en eut cure et retrouva avec soulagement l’air vif et coupant de la nuit glaciale. Il en inspira à pleins poumons et ça lui crama un peu la gorge.
En haut dans le ciel noir planaient de lourds dirigeables de toile blanchâtre frappés aux armes de la reine. Les nuages les avalaient et les recrachaient, les transformaient en larges gouttes blanches, comme des pâtés d’eau sur une aquarelle détrempée.
Il jeta distraitement un caillou dans l’eau en pensant qu’en fait, sa situation n’avait pas changé du tout. Toujours enfoncé aussi profondément dans la merde.
Félix Slocker, le Roi des Merdeux même pas cap’ de s’en sortir tout seul comme un grand. Qu’est-ce que ça faisait pitié…
Cela faisait beaucoup moins classe qu’El Patron. Si ça se trouve, il allait se faire rebaptiser gros nul de service par l’opinion publique. Non !
Il rentra à l’Entrepôt sans grand enthousiasme. Il se sentait tellement naze, insignifiant…Et la pluie n’arrêtait pas de tomber, fine, collante, comme si c’était Dieu qui lui crachait dessus.
Ces malheurs ne faisaient que commencer. Félix en avait la certitude.
Il se mit à cavaler de plus en plus vite sur les pavés. Puis il pila juste devant les portes noires de l’Entrepôt.
« Va mourir, Dieu ! s’égosilla t’il. Va mourir ! » Un peu rasséréné, il réintégra dans la bâtisse de tôles qui était son chez-lui.

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